Comme introduit dans l’article précédent, que je vous invite absolument à lire si ce n’est pas déjà fait, j’ai traduit et présenté ce que pouvait être le modèle AIM. Un désavantage lié à ces suggestions sans induction ni approfondissement est ce que l’on appelle en anglais les « reminders of reality » : les rappels à la réalité. C’est cette petite voix que l’on a tous à l’intérieur de nous (que j’appelle voix-off, et dont je donne des méthodes de contournement dans mon livre) qui nous rappelle constamment que « non, la main ne peut pas être collée sur la table. Ce n’est PAS possible ».
Les HOTs et les LOTs
Avant de vous donner quelques pistes introduites par Kev Sheldrake, il y a une notion sur laquelle il faut absolument revenir. En effet, nous allons aborder ce que l’on appelle les HOTs (higher order thoughts) que je traduirais par « pensées conscientes », et les LOTs (lower order thoughts), qui représentent les pensées inconscientes. Les LOTs sont toutes les pensées liées à l’environnement, à notre vécu, au contexte et ce sont toutes ces pensées inconscientes qui finalement construisent celles qui parviennent à notre conscience.
Cold Control Theory
Il y a une théorie évoquée par Zoltan Dienes et Josef Perner (Cold Control Theory) qui tente à démontrer que l’hypnose n’est finalement que la volonté de participer à l’expérience hypnotique sans en être conscient. D’où le côté involontaire qui ressort lors de nos séances d’hypnose.
C’est très peu expliqué dans l’article de Kev, alors je vais essayer de donner quelques exemples plus précis pour que vous compreniez bien la portée de cette théorie.
Prenons l’exemple d’une élévation du bras. Il y aurait, selon cette théorie, trois niveaux de pensées.
- Je lève le bras. C’est le niveau inconscient. Consciemment, il ne se passe rien à ce niveau-là. C’est un état de fait. L’action est faite automatiquement.
- j’ai la volonté de lever mon bras. On souhaite lever son bras, et donc il se lève. A ce niveau là, on rentre dans une phase de conscience, légère.
- Je prends conscience d’avoir la volonté de lever mon bras.
Le premier niveau relève de l’inconscient et uniquement de l’inconscient. Par exemple, quand vous marchez dans la rue, vous mettez le pied gauche devant le pied droit sans en être conscient. Dans les mécanismes dits « automatiques », nous n’allons pas plus loin que ce premier niveau. Dans n’importe quel apprentissage, il faut avoir la volonté de provoquer le geste un certain nombre de fois avant de pouvoir le rendre automatique. L’hypnose reviendrait donc à mettre de côté les points 2 et 3, ou mieux encore à les rendre inconsistants. Exemple : « j’ai la volonté de baisser mon bras, et pourtant il continue de monter ».
Dans un état de transe dit léger, le niveau 2 est souvent à l’origine du problème. Pour une main collée, la personne peut avoir l’impression qu’elle fait semblant, qu’elle ne décolle pas la main juste pour nous faire plaisir. En d’autres termes, qu’elle a la volonté de garder sa main collée sur la table. L’approfondissement revient dans ce cas à rendre obsolète cette pensée, quelque soit la méthode utilisée, afin de ne conserver que le niveau 1 : l’inconscient garde la main collée sur la table.
C’est aussi pour cette raison que je suggère souvent à mes volontaires de « jouer le jeu, avant de se laisser prendre au jeu ». Quelques fois, demander à la personne de faire semblant peut paraître ridicule, et pourtant s’avérer être le petit détail débloque l’ensemble du processus. Ensuite, évidemment, vérifiez avec votre volontaire qu’il ne fait plus semblant pour valider le phénomène hypnotique. Ce n’est pas quelque chose qu’il faut utiliser tout le temps comme si c’était une baguette magique. Mais quelques fois, on peut avoir de bonnes surprises !
Cette théorie va dans le sens de l’équipe de Kev Sheldrake. Néanmoins, elle ne propose pas de dimension pratique. Il faut comprendre le raisonnement, il n’y a pas de méthodologie derrière.
Rappels à la réalité
Petit retour en arrière sur les rappels à la réalité. Ce sont finalement tous des HOTs, parce qu’ils apparaissent à un niveau conscient. La théorie Cold Control propose de manipuler ces HOTs pour modifier notre niveau de conscience à propos de notre volonté de participer à l’expérience. Si on applique le modèle Automatic Imagination proposé dans l’article précédent, nous allons simplement demander au volontaire s’il peut imaginer la même chose (lévitation du bras par exemple) mais cette fois d’imaginer également que les rappels à la réalité (ce que j’appelle la voix off) ne sont plus présents ou simplement qu’ils n’affectent plus la séance d’hypnose. Cette approche doit être itérative et appliquée à chaque « rappel à la réalité » jusqu’à qu’ils disparaissent tous et que l’effet fonctionne convenablement (avec la sensation d’automaticité).
Les émotions, un atout capital
Une autre méthode pour combattre ces rappels à la réalité est d’utiliser les émotions. En effet, de nombreuses expériences ont démontré que les émotions affectent énormément la manière dont nous pensons. Le modèle « Human Givens » (Joe Griffin and Ivan Tyrell) suggère que des émotions très fortes amènent à une pensée qu’ils appellent « noir et blanc ». En d’autres termes, de fortes émotions entraînent des pensées extrêmes. Un exemple très probant est le cas d’une personne phobique. Si elle est mise en face de sa plus grande phobie, son état émotionnel très fort va la pousser à réagir très rapidement, voire même violemment dans certains cas, pour s’éloigner de cette phobie. Elle peut se mettre à hurler, à adopter des comportements de survie, face à une situation jugée par tout un chacun « banale ». Les HOTs qui guident leur comportement sont extrêmes face au danger perçu.
Le paragraphe suivant proposé par Kev Sheldrake me paraît un peu limite. J’ai donc décidé de ne pas le traduire parce qu’il s’agit selon moi d’un raccourci maladroit pour crédibiliser la théorie selon laquelle l’émotion pourrait avoir un impact sur la suggestibilité. Il part d’une expérimentation prouvant que l’administration de certaines molécules pouvait augmenter la suggestibilité. Et il admet que le point commun entre toutes ces molécules est une montée d’émotion, ce qui pourrait expliquer ces résultats étonnants. Raccourci : la montée d’émotion favorise la suggestibilité. Même si je suis d’accord sur la dernière phrase, l’explication ne me convainc pas.
Nos expériences personnelles ont montré que si un volontaire est dans un état émotionnel (en train de rire par exemple), les suggestions passaient beaucoup plus facilement. C’est l’une des raisons pour laquelle nous essayons toujours de faire rire nos volontaires très tôt dans nos routines (dans la routine pour bien débuter, je conseille souvent de suggérer que la personne va rire pendant que son bras se lève).
Nous pensons qu’augmenter le niveau émotionnel d’un volontaire lui permettrait de décrocher plus facilement de ses rappels à la réalité. Pendant qu’il rit, la pensée « l’hypnose n’existe pas, cela ne peut pas fonctionner » passe un peu plus en arrière-plan et prend beaucoup moins d’importance dans l’expérience. Face à une montée émotionnelle, les rappels à la réalité deviennent un peu plus fades et sont plus facilement remplacés par d’autres pensées plus positives pour l’expérience. Le résultat est au final assez similaire avec le fait d’imaginer que les rappels à la réalité peuvent disparaître.
Trance Killer Suggestion
Pour terminer une séance convenablement en suivant le modèle AIM, je vous recommande de lire mon article Trance Killer qui y est consacré.
Conclusion
Dans un dernier article, je vous présenterai mes résultats en ayant utilisé ce modèle de très nombreuses fois. Testez ce modèle, faites vous votre propre avis. Ne me croyez pas sur parole !
