Rafiki vous montre le chemin pour apprendre l’hypnose

Note de Jean-Emmanuel : Raphaël vous propose, sous la forme d’un compte rendu d’interview, de décortiquer avec Rafiki en personne toutes ses techniques hypnotiques qu’il utilise avec brio dans le célèbre « Le Roi Lion ». Et vous allez voir que ce personnage haut en couleur n’a pas fini de vous surprendre… C’est un véritable chef d’oeuvre que je vous invite à découvrir sans plus tarder.

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Nous retrouvons donc Rafiki à l’orée d’une jungle touffue, au creux d’un baobab, en train de fumer la pipe.

Introduction

Raphaël (Q) – Bonjour ! Alors, pour les gens qui ne vous connaissent pas, vous êtes Rafiki, l’hypnothérapeute de la Terre des Lions…

Rafiki (R) – Je préfère le terme de magicien.

Q – Ah bon ? Vous utilisez la magie ?

R – Correction mon ami : la magie m’utilise.

Q – Euh… Eh bien d’accord. Je voulais vous proposer, si vous le voulez bien, de commenter avec moi ce travail fantastique que vous avez fait sur Simba. Les stratégies que vous avez mises en place, vos techniques, bref, tout ce qui fait votre efficacité.

R – Nous pouvons faire cela. Mais il faut garder à l’esprit que « tout ce qui fait mon efficacité » ce n’est pas la stratégie ni la technique. C’est l’instant. Être présent et prêt, quand il le faut, où il le faut. Je ne suis qu’un outil au service du grand Cycle de la Vie. Ce que tu nommes technique et stratégie, ce ne sont que les chemins sinueux qu’entreprennent les ronces pour nous offrir aux choix des mûres ou des roses. Ma tâche n’est pas de créer la fleur ou le fruit. Ma tâche est de croître et grandir afin d’être prêt à porter la Nouvelle Récolte lorsque la Lumière surviendra.

Je découvrais donc avec stupeur que Rafiki semblait être un hippie illuminé de la pire espèce. Je ne me laissais pas dérouter pour autant et, me ressaisissant en même temps que mes feuilles, nous poursuivîmes…

Une séance d’hypnose pas comme les autres

Q – Si vous le dites… Donc, prenons le temps de voir cet extrait de séance. Tout d’abord, replaçons le contexte. Simba, jeune adolescent en difficulté, a été traumatisé par la mort de son père. Culpabilisé par son oncle, il a fui ses responsabilités et s’est réfugié dans la jungle en compagnie de deux beatniks nonchalants. Son amie d’enfance, Nala, le retrouve par hasard et lui intime de retourner parmi les siens, de se réintégrer à la vie active.

R – Il n’y a pas de hasard jeune babouin !

Q – D’accord. Donc, Nala le retrouve… Disons par « synchronicité ». Elle est intéressante cette jeune femme. D’un point de vue symbolique elle incarne à la fois le cadre intime du système familial, puisqu’elle est sensée devenir la mère des enfants du jeune lion, mais c’est aussi une figure d’autorité que nous pourrions qualifier de « légale » puisqu’elle vient rappeler à Simba qu’il a des responsabilités envers la société. Qu’en dites-vous ?

R – J’en dis que tu es l’animal le plus bavard que j’ai jamais rencontré. Nala est le chemin. Voilà tout.

Le chemin, le chemin… Est-ce à dire que toute la savane lui est passée dessus ? Je gardais pour moi mes réflexions et poursuivais l’interview, de plus en plus décontenancé, quoique m’efforçant de ne rien laisser paraître.

Q – J’aimerais revenir sur cette scène :

Simba – Je suis venu ici vivre ma propre vie. J’ai réussi et c’est bien.
Nala – Nous avons besoin de toi.
Simba – Hakuna Matata ! Il y a des choses dans la vie qui tournent mal. C’est une fatalité et on n’y peut rien. Alors pourquoi s’en faire ?
Nala – Parce que tu as des responsabilités !

Si on analyse les niveaux logiques de Simba, on voit bien que son environnement actuel, c’est-à-dire reclus dans la forêt, est entraîné par une inadéquation entre sa mission de Roi, et la valeur du « Hakuna Matata » ; sorte de Carpe Diem suricate. Il en résulte un système de croyance limitante qui tend à le protéger de ses responsabilités en présupposant sa propre impuissance par rapport au monde. Est-ce ainsi que vous analysez les choses ?

R – Regarde en dessous de toi. Que vois-tu ?

Q – Eh bien, il y a des arbres, il y a la forêt.

R – Regarde mieux. Écoute !

Q – Le vent dans les feuilles… On est dans la jungle quoi !

R – Toi tu ne le vois pas, toi tu ne l’entends pas. Mais il y a des milliers d’yeux qui observent, il y a des millions de bouches qui murmurent.

Q – Et donc ?

R – On ne peut pas être reclus dans une forêt. On ne peut l’être qu’en soi-même.

Q – Donc si je comprends bien votre approche, il s’agit ici de faire sortir Simba de lui-même ?

Rafiki souffla longuement en m’observant d’un air désespéré.

R – Comment appelles-tu un Lion amaigri ?

Q – Je ne sais pas…

R – Un Lion pardi ! Tu n’appelles pas « Chat » un Lion. Jamais. Un Lion est un Lion. Sais-tu ce que fait le serpent lorsqu’il est à l’étroit ?

Q – Je crois qu’il change de peau ?

R – Précisément ! Mais le Lion ne peut pas changer de peau.

Q – En effet…

Voyant que Rafiki ne semblait pas décidé à poursuivre ses explications, je décidais – moi – de poursuivre mes questions.

Établir le rapport

Q – Jetons un œil à ce nouvel extrait. Simba a fui le conflit avec Nala en se réfugiant dans la savane. Là, il tourne en rond, en proie à une terrible dissonance cognitive.

Simba – Elle a tort. Je ne peux pas. Ça ne prouverait rien. Ça ne changerait rien. On ne change pas le passé.
Se tournant vers le ciel, s’adressant ainsi à son défunt Père : tu disais que tu veillerais sur moi. Mais tu n’es pas là… A cause de moi. C’est ma faute. C’est MA faute.

C’est le moment que vous choisissez pour apparaître. D’abord sur une branche en chantant, ce qui fait fuir Simba. Puis vous le poursuivez en continuant de chanter. Vous lui jetez des cailloux… C’est assez inhabituel comme façon d’établir le rapport avec un patient non ?

R – Quand l’abcès est crevé, il faut le vider.

Q – Pardonnez ma bêtise, mais je ne comprends pas.

Sans prévenir, Rafiki saisit alors son bâton et m’assène un grand coup sur le crâne.

R – Si tu observes avec tes yeux, tu auras des images. Si tu observes avec ton crâne de ouistiti, tu auras des toutes petites idées. Si tu observes avec ton cœur, alors tu verras la plaie à l’âme et toute la colère qui s’en dégage. Ce qui est inhabituel, ce n’est pas de permettre au Lion de rugir, c’est de demander de la laine à une vache et du lait à un mouton.

Q – C’est une certaine forme de synchronisation ? En agissant ainsi, vous permettez en quelque sorte à Simba d’entrer en relation avec vous de la seule façon dont il est capable de le faire, c’est-à-dire en l’autorisant à exprimer son agressivité ?

Le macaque m’observa longuement en faisant des ronds de fumée.

Q – D’ailleurs, si l’on observe la suite de la séquence, ça ne manque pas :

Simba – Tu peux mettre un bémol ?!

Rafiki – Pas question je connais la musique… Simba part mais Rafiki le suit de très près.

Simba – Sale petit ouistiti, arrête de me suivre. Qui es-tu ?

Rafiki – Dis-moi plutôt qui tu es ?

Simba – Je croyais le savoir, je n’en suis plus très sûr…

Rafiki – Moi je sais qui tu es ! Chut, Approche, c’est un secret… Rafiki entonne une nouvelle fois le chant avec lequel il avait de prime abord signalé sa présence.

Simba – Tu ne vas pas recommencer, que veut dire ce charabia ?

Rafiki – Ça veut dire que tu es un babouin… et moi pas !

Simba – Je crois que tu as l’esprit embrouillé…

Rafiki – Erreur, c’est toi qui a l’esprit embrouillé. Tu ne sais même pas qui tu es !

Simba – Et toi naturellement tu le sais ?

Rafiki – Mais Oui, tu es le fils de Mufassa ! … Adieu ! Rafiki s’en va alors précipitamment.

Je ne sais trop comment dire. C’est brillant ! Vous mêlez à la fois thérapie provocatrice, confusion, vous avez un art du spectacle inné. On est suspendu. Immédiatement ! Vous arrivez à créer cette aura de mystère… Comment faites-vous ?

R – Quand le Roi est nu, il faut parfois les yeux d’un enfant pour éclairer le Soleil.

Q – Vous voulez dire qu’il faut parfois aborder les problèmes avec la simplicité d’un enfant, c’est ça ?

R – Je veux dire ce que j’ai dit. Et toi, veux-tu entendre ce que tu as entendu ? Dis-moi arbrisseau, qu’offrent les yeux ?

Q – Un regard ?

R – Exactement ! Et dis-moi encore, chez les grands babouins que tu côtoies à la ville et que tu appelles « Frères Humains », comment la petite fille signifie-t-elle qu’elle n’est plus une enfant ?

Q – En passant des heures dans la salle de bain à écouter des rappeurs navrant et en s’éclatant ses boutons d’acné contre le miroir ?

R – Non. Elle se peint les paupières de noir. Ainsi, son regard est-il transformé. Je vais te dire un secret : l’œil est un miroir. Le mascara est un cadre. Le têtard devient crapaud, le lionceau devient Lion, mais l’œil demeure l’œil.

Je crois alors comprendre ce que veut me dire Rafiki. L’enfant est vierge. Le regard de l’enfant est un regard de renouveau. De possibilités en devenir. Un regard qui ne juge pas. Il ne s’agit pas tant de simplicité que de reflet. La véritable force du Grand Sage est d’être un reflet exact des contradictions de Simba à un moment donné. En ne déformant pas ce qu’il reçoit, il permet au jeune lion de s’en détacher afin d’y apposer un regard neuf.

Créer l’envie

Q – C’est assez fou, parce que vous arrivez en quelques phrases à retourner totalement la situation. Vous devez littéralement poursuivre Simba au début, et après cet échange, c’est lui qui vous poursuit. Le rapport est complètement transformé ! Observons la suite :

Simba – Eh ! Attends ! Il poursuit alors Rafiki, qu’il retrouve méditant un peu plus loin, en position du lotus. Tu connaissais mon père ?

Rafiki – Correction : je connais ton père.

Simba – Je ne voudrais pas te contredire, mais il est mort, il y a bien longtemps…

Rafiki – Non !!! Deuxième erreur, il est vivant ! Et je vais te le prouver. Suis le vieux Rafiki, il connaît le chemin. Viens !

C’est un passage véritablement passionnant car on peut observer un glissement subtil au niveau de votre positionnement. Au début, vous vous présentez un peu comme une sorte de fou qui chante, qui danse et qui prononce des paroles insensées dans le but de capter l’attention de Simba. Maintenant qu’elle vous est acquise, cette posture du lotus sert à vous donner une stature de sage. Vous vous permettez d’ailleurs de reprendre par deux fois votre patient, asseyant ainsi votre autorité dans le rapport. A la fin, la confusion créée permet une rupture de pattern que vous exploitez en intimant à Simba de vous suivre aveuglément à travers la forêt. Cette traversée de la forêt constitue d’ailleurs un processus inductif puisqu’à mesure que le lion avance, vous vous efforcez de faire taire son dialogue interne en apparaissant et disparaissant soudainement ; ce qui a pour effet de le maintenir dans l’urgence, dans l’automatisme, tout en permettant aux schémas et processus mentaux liés à son père ainsi qu’à la période de sa vie qui s’y rattache, de se réactiver en background.

R – Oui, c’est bien de courir, ça aère la tête !

Q – Euh, très bien. On en arrive maintenant au moment vraiment très fort de cette séance. Peut-être pourrez-vous nous éclairer sur la formulation des différentes suggestions car elles semblent quasiment absentes. De plus, votre patient obtient instantanément une hallucination visuelle alors que vous n’êtes pas passé au préalable par différentes étapes telles que l’amnésie ou la catalepsie. Peu de gens pensent cela capable. Alors j’imagine bien que vous allez dire quelque chose comme « Ce n’est pas parce que la majorité se trompe qu’elle a raison d’avoir tort » mais est-ce que vous pourriez détailler de façon très précise la manière dont vous vous y êtes pris ? Mais avant cela, observons ensemble cet extrait. Cela démarre donc dans la forêt avec Simba qui vous poursuit comme un dératé :

Induction

Rafiki – Ne traîne pas ! Dépêche-toi !

Simba – Attends ! Attends !

Rafiki – Viens, viens !

Simba – Ne cours pas si vite ! Attends, attends une seconde. Simba perd alors complètement le contact avec Rafiki. Sa panique et son agitation augmentent, il est totalement désemparé, désarmé, il court toujours plus vite jusqu’à ce que le Sage surgisse brusquement de derrière un arbre en lui intimant de la main de s’arrêter.

Rafiki – Stop ! Chut… Regarde en bas.

Simba suit alors la direction indiquée, ce qui l’amène près d’un cours d’eau. Il voit son reflet dans l’eau au milieu des étoiles.

Simba – Tss… Ça n’est pas mon père, ce n’est que mon reflet…

Rafiki – Nooon… Regarde-mieux dit-il en avançant son doigt dans l’eau pour troubler légèrement sa surface. Tu vois ? Il vit en toi.

Le reflet troublé se transforme en Mufassa, qui surgit alors au milieu des nuages.

Mufassa – Simba !

Q – Si vous le permettez, j’aimerais que l’on prenne vraiment le temps de s’arrêter sur cet instant très particulier. Qu’avez-vous fait ? Peut-être avez-vous fait du saupoudrage et cela a-t-il été mal traduit ? Alors je précise pour les lecteurs que vous ne parlez pas français, mais babouin, qui est une langue assez proche au final ; mais il peut y avoir des scories lors de la traduction. C’est donc une subtilité du langage babouin que vous avez utilisé là ?

R – Ce n’est pas une question totalement idiote ou véritablement débile. Crois-tu que le Lion parle le babouin ?

Q – Ah ça je ne sais pas, mais il est vrai que du coup, je me demande bien quelle langue vous avez utilisée à ce moment là, si c’était du babouin, du lion, du lard ou du suricate ?

R – Les paroles ne sont que du bruit pour celui qui cherche à en comprendre le sens.

Q – Vous dites ça, mais vous ne le pensez pas vraiment ? Regardez, on ne pourrait pas communiquer si on n’utilisait pas les paroles, n’est-ce pas ? Comment réaliser cette fabuleuse interview autrement ?

Rafiki jeta un œil sur son bâton, posé non loin. Mon crâne s’élança à son simple regard en biais. Puis, il ramassa une noix de coco au sol, l’écrasa et se mit à la déguster sans tenir plus compte de moi.

Q – Vous avez faim ? Vous vous ennuyez ? Vous voulez faire une pause et reprendre plus tard peut-être ?

Le singe m’observa longuement en mastiquant méthodiquement la chair blanche de la noix. Finalement, il m’en tendit un morceau, que je refusais, n’ayant pas faim. Il continua de mâchonner, ses yeux braqués sur moi. En silence. Au bout d’une minute, il me proposa une nouvelle fois un morceau, que je décidais d’accepter, par politesse.

R – Regarde ! Mais pas avec tes oreilles. Regarde avec ta bouche. La noix te parle, elle te dit « dévore-moi ; nourris-toi de ma chaire ». Comment je le sais ? Elle me dit la même chose. Et pourtant, nous sommes différents : j’ai plus de poils que toi.

Q – La noix de coco ne dit rien. On la mange et puis c’est tout.

R – C’est tout ? La noix devient toi. La noix devient moi. Il est là le vrai miracle. L’instant très particulier dont tu me parlais tout à l’heure. Simba a vu Mufassa parce qu’il a demandé à voir Mufassa.

Q – Oui mais… Par exemple, si je te demandais de me faire voler, tu ne pourrais pas, parce que c’est impossible. Les oiseaux volent, les humains doivent prendre l’avion.

Rafiki se rapprocha du bord du baobab et jeta un œil en contrebas.

R – Tout à l’heure, tu voleras. Quand tu seras prêt.

Voilà qui n’était pas réjouissant. Je sentis mon ventre se nouer à la pensée que le vieux fou n’hésiterait peut-être pas à me jeter du haut de son arbre si l’interview ne lui plaisait pas. S’il tenait tant que ça à parler par énigmes, alors d’accord. Libre au lecteur de se les approprier ou non. Le devoir d’informer ne doit pas outrepasser le droit à rester en vie ! Je poursuivais donc l’analyse de la séance et, du moins l’espérais-je, les questions qui allaient avec et que j’avais patiemment préparées.

Simba – Père ?

Mufassa – Simba, tu m’as oublié.

Simba – Non, jamais !

Mufassa – Tu m’as oublié en oubliant qui tu étais. Regarde en toi Simba. Tu vaux mieux que ce que tu es devenu. Il te faut reprendre ta place dans le Cycle de la Vie.

Simba – Comment la reprendre ? Je n’ai plus aucun pouvoir…

Mufassa – N’oublie pas qui tu es. Tu es mon fils et c’est Toi le Roi. N’oublie pas qui tu es.

Simba – Non, père ! Ne me laisse pas ! J’ai besoin de toi !

Mufassa – N’oublie pas qui tu es…

Simba – Ne me laisse pas.

Mufassa – N’oublie pas.

Q – Alors c’est vraiment… euh… fabuleux, mais on ne comprend pas trop. C’est une sorte de protocole de deuil c’est ça ?

R – Regarde-moi poussin. Que vois-tu ?

Q – Eh bien, un grand hypnotiseur. Pardon, un magicien vous m’avez dit. Mais un très grand alors ! Et très impressionnant, je dois dire que j’adore ce que vous faites…

R – C’est quoi la magie ?

Q – C’est… Un décalage de l’état de conscience ordinaire ?

R – Regarde-moi et réponds : que vois-tu ?

Q – Rho, je vois un vieux singe qui ne parle que par devinettes et qui me balade depuis tout à l’heure.

R – Et tu trouves ça normal ?

Observant d’un air dépité les feuilles froissées entre mes doigts, je compris que toutes les questions que j’avais préparé ne me seraient d’aucune utilité. Je décidais donc de les plier et les ranger dans la poche arrière de mon jean. Rafiki m’observait toujours, vaguement amusé par mon égarement. Il avait cessé de cracher des volutes de fumées et jouait machinalement avec son bâton. Ce n’était jamais bon signe, aussi restais-je sur mes gardes en poursuivant.

Q – Euh, alors… Oui… Je me demandais… La suggestion « n’oublie pas », c’est un peu étrange dans la structure, non ? Parce que bon, c’est quand même une suggestion négative. Dans la mesure où l’Inconscient ne perçoit pas la négation, il s’agit plutôt d’une invitation à l’oubli qu’une réelle invitation à se souvenir. Ou à ne pas oublier. Ou alors, peut-être est-ce que la structure inversée induit justement une frustration de la part du sujet, qui doit alors se battre pour lutter contre, et ainsi se l’approprier plus efficacement ?

Le macaque se contenta de m’observer d’une bien étrange façon. Son regard était un mélange de malice, d’imprévisibilité, de… comment décrire cela ? L’espace d’un instant, je sentis que les mots ne seraient jamais suffisants pour dire tout ce que ses yeux exprimaient. Non pas qu’ils exprimassent beaucoup, ou même peu. En vérité, nous en étions là où il voulait m’amener. Il tendit sa main velue vers moi.

R – Viens, je vais te montrer quelque chose de Nouveau !

Comme je tendais moi-même mon bras pour accepter son invitation, il me stoppa net en ajoutant : « Tu ne peux pas t’habiller de neuf si tu n’ôtes pas l’ancien ». Son regard balaya ma chemise bariolée, le jean que j’avais mis ce matin là ainsi que le Panamà qui ornait ma tête. Finalement, il se saisit du chapeau et le plaça sur son propre crâne. Il lui allait bien trop grand ! Soudain, voyant cet animal ridiculement vêtu d’un couvre-chef, je pris conscience de mon propre ridicule à être ainsi perché en habits de ville au beau milieu d’un baobab. Instantanément, les sons changèrent autour de moi. L’odeur fruitée et sauvage de la jungle envahit mes poumons, poussant contre ma cage thoracique. Ma chemise m’étouffait. Je l’enlevais, presque mécaniquement. Mon pantalon me serrait la taille ; je desserrais la ceinture, d’un cran, deux crans, avant d’apercevoir quelques oiseaux posés sur les branches qui m’observaient en silence. Je ressentis alors une grande pudeur d’être emmailloté de tant de tissu. Lorsque le soleil orange de la terre des lions caressa mon sexe, je ressentis comme une sorte de communion avec les éléments, seulement troublée par la pression excessive que les chaussettes exerçaient encore contre mes chevilles. Le contact du baobab était chaud et rugueux contre la plante de mes pieds. L’air passait tout autour de moi, entre mes cuisses, sous mes bras. J’entendais les bruissements du feuillage se mêler à ma propre respiration.

Soudain, Rafiki sauta en l’air, s’accrocha à une branche et disparu dans l’épais plafond émeraude en intimant : « Suis-moi ! » Comme j’hésitais, il redescendit la tête et repris : « N’aies pas peur ! La peur n’est que le souvenir de la douleur. Vit l’instant. Le mental crée l’abîme. Le cœur la traverse. Suis-moi ! » Quoiqu’une partie de moi trouvait que ses suggestions – mais était-ce bien des suggestions ? – étaient très mal formulées, je me sentis comme soulevé par mon propre corps au-dessus du feuillage. M’avait-il hypnotisé ?

Tout en haut, assis juste au-dessus du vide avec une vue imprenable sur la Terre des Lions, le macaque m’attendait armé d’une nouvelle pipe qu’il me tendit. Tandis que j’avalais en toussotant l’âcre fumée, il me dit :

R – L’hypnotiseur hypnotise. Mais le magicien, que fait-il ?

Q – Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il y ait de mots.

R – Précisément. La magie commence là où les mots s’arrêtent. Regarde et dis-moi ce que tu vois.

Perché ainsi que nous l’étions au milieu du vide, je commençais à tanguer dangereusement sous l’effet de la fumée. Il y avait la sensation rugueuse de la branche contre mes fesses, l’agréable sensation d’abandon et de relâchement qui courait le long de mes jambes. Et puis ce soleil orange, irréel, qui illuminait les arbres en contrebas, et les pierres, et un troupeau d’éléphant au loin, et…

R – Dis-moi, est-ce que tu vois les éléphants ?

Q – Oui, je vois les éléphants.

R – Et cela te procure-t-il de la joie ?

Q – Oui.

R – Dis-moi encore, est-ce que tu vois le soleil ?

Q – Oui, je vois le soleil. Le son de ma voix me semblait lointain, comme sorti d’un rêve. Qu’avait-il bien pu me faire fumer ?

R − Et cela te procure-t-il de la joie ?

Péniblement, je parvins à articuler « Oui » que je lâchais dans un souffle.

R – Si tu te réjouis dix fois, il y a neuf failles entre les dix joies. Regarde mieux.

Comme une respiration, la forêt en contrebas semblait battre la mesure. Brusquement, l’image d’une poupée rousse tanguant et virevoltant tout ensemble s’apposa sur ce décor et alors ; tout devint limpide. Ce n’est que lorsque le danseur a travaillé et labouré son corps que l’œuvre s’autorise à y surgir. Je vis la poupée sortir de sa chrysalide et s’envoler dans les airs, portant le monde sur ses épaules. Le singe à mes côté me dit alors : « L’oiseau va mourir. Souviens-toi de l’envol ! »

Ce furent les derniers mots dont je me souvins ce jour là.

En m’éveillant dans mon lit ce matin, je trouvais des feuilles recouvertes de graffitis posées sur la table basse. Il s’agissait de la fin de mon interview dûment remplie par moi-même. L’écriture, hachée, frénétique, semblait avoir été réalisée en état de transe. Je ne me souvenais de rien. Rien du tout. Peut-être le macaque me l’avait-il dictée tandis que nous crapahutions dans les branches ? Il y avait aussi une photo de Rafiki et moi-même, en souvenir. Voici donc la fin de l’interview, telle que je l’ai retrouvée. Elle commente la scène juste après l’apparition de Mufassa, lorsque Rafiki réapparaît dans le champ de conscience de Simba.

Recadrages

Rafiki – Ben dis donc ! Quel temps !! Bwah ! C’est bizarre tu ne trouves pas ?

Simba – Oui, on dirait que le vent a changé.

Rafiki – Ah… Changer, c’est bien.

Simba – Oui mais… C’est pas facile. Je sais ce que je dois faire mais… Pour revenir il me faut faire face à mon passé. Et… Je l’ai fui depuis si longtemps…

Rafiki met un coup de bâton sur la tête de Simba.

Simba – Ouch ! Tu es devenu fou ?!

Rafiki – Tu oublieras vite, c’est du passé ! Ah ah ah !

Simba  – Oui mais, c’est douloureux…

Rafiki – Eh oui, le passé c’est douloureux. Mais, à mon sens, on peut soit le fuir, soit, tout en apprendre. Nouveau coup de bâton sur la tête, cette fois ci évité par Simba. Alors, tu vois ? Quelle est ta décision ?

Simba – Pour commencer, je vais prendre ton bâton !

Rafiki – Non ! Pas mon bâton. Eh ! Où vas-tu ?

Simba – Reprendre ma place !

En commençant à lire, quelle ne fut pas ma déception de découvrir en lieu et place d’une analyse fine et pertinente des mécanismes hypnotiques et thérapeutiques mis en place dans cet extrait, avec notamment de beaux recadrages, un énième changement dans le positionnement du thérapeute ou encore une symbolique du bâton assez riche, de découvrir disais-je… Cela :

Les hommes cuisent leur nourriture. Ils attendent l’instant. L’instant où elle sera prête. Ce n’est ni trop tôt, ni trop tard. C’est l’instant. Puis la nourriture passe dans la bouche, dans la gorge, dans le ventre. L’homme ne se soucie plus de l’instant, car la nourriture est lui. La banane se réincarne en babouin si c’est un babouin qui la mange et le babouin se réincarne en banane s’il est enterré sous un bananier. C’est le grand cycle de la Vie.

L’hypnotiseur et le magicien sont aussi différents que le professeur d’histoire et l’Histoire peuvent l’être. La noix de coco communique avec moi et se transforme. Cela s’appelle « manger ». La magie communique avec l’hypnotiseur et le transforme. Cela s’appelle « digérer ». Le corps sait digérer. Il prend l’énergie qui lui est bonne, et rejette la matière. Le corps a besoin d’énergie. L’esprit a besoin de Lumière. Apprends à ton mental à digérer les mots afin de te guider dans la Lumière.

J’interrompis ma lecture pour souffler quelques instants. J’aurais du m’en douter cela dit ; rien de bien différents sous le soleil que ces singeries. Ah, une si belle séance d’un point de vue technique, et personne en face pour me l’expliquer ! Soudain, je réalisais que Rafiki devait être ce qu’on appelle une sorte « d’hypnotiseur humaniste ». Ces gens parlent de la Vie, de la Lumière, ils sont étranges et ils mangent des noix de coco. Le profil correspondait tout à fait. « Le Grand Cycle de la Vie »… Mais c’est bien sûr ! Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Pourquoi n’avais-je pas compris dès le départ qu’un type qui vivait en haut d’un baobab, fumait d’étranges herbes et utilisait un langage abscons à base de fruits et d’animaux était forcément une sorte de hippie hipster humaniste ? Poursuivons la lecture…

L’hypnotiseur induit des phénomènes hypnotiques. Du magicien jaillit le miracle ! Ils ne sont pas différents. Ils sont en fait identiques. Ils sont UN ; ils sont UNE. Il n’y a qu’un miracle : la Vie. La gazelle a plus de valeur pour le lion lorsqu’il est affamé. Donne faim ! Le miracle intervient en permanence. La permanence elle-même est un miracle – ou une illusion. La magie est la transformation de l’illusion du réel en miracle du réel. Alors maintenant, élève-toi et vole !

Je tournais la feuille, mais il n’était rien écrit de plus. Utilisant mes maigres connaissances en origami, je la transformais en avion afin de la faire planer. Ce serait déjà un bon début. Puis, je m’installais dans la cuisine afin d’y relire mes notes en dégustant quelques fruits. Dans la corbeille, à côté des figues et du raisin, une énorme noix de coco, que je ne me souvenais pas d’avoir amené ici, semblait me faire des avances. Je la mis dans mon assiette en songeant à toutes ces babouineries. Je n’aurais su dire comment ou à quel niveau, mais le sage m’avait touché. Ses mots avaient trouvés en moi un écho que je ne leur aurais pas soupçonné de prime abord. Face à moi, la noix de coco et tout un monde à découvrir. Qu’étais-je sensé y trouver déjà ? Un miracle ? Le sens de la vie ? Tandis que je me perdais une nouvelle fois dans mes pensées, mon ventre gronda, me rappelant le but de tout cela : Manger, Digérer, Transformer.

Et toi, ami lecteur, as-tu faim ?

Raphaël Aguilo

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5 réflexions au sujet de “Rafiki vous montre le chemin pour apprendre l’hypnose”

  1. Bonjour,

    pourrait-on avoir un peu plus de détail sur l’identité de Rafiki ?

    J’ai adoré cette article.

    J’ai apprécié ta rigueur, on peut voir que tu as cherché de véritable analyse et apporté une véritable réflexion sur ce film.

    Pour autant, ton interlocuteur est sublime. Ses réponses sont splendides.
    Dommage que tu lui accoles cette étiquette de « hippie hipster humaniste ». N’est-ce pas réducteur ?
    Tout comme la déception à la découverte de tes notes le lendemain matin… Cette expérience ne vaut-elle pas toutes les notes ? L’inconscient, n’apprend t’il pas sans passer par la case conscient et théorie ?

    Un grand Merci pour ce partage. 🙂

    Chaleureusement,
    Yann

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