L’AIM, retour d’expérience et conclusion (3e partie)

Voici donc le dernier des trois articles consacrés au modèle AIM (Automatic Imagination Model) du groupe Head Hacking. Le premier et le deuxième article vous présentaient le fonctionnement et la théorie se cachant derrière ce modèle en apparence assez complexe.

Aujourd’hui, je vous apporte un point de vue totalement subjectif, résultat d’une mise à l’essai durant plusieurs mois. J’utilise en effet, ponctuellement, l’approche AIM lors de nos sorties Street-Hypnose à Toulouse. Et je continue d’expérimenter encore aujourd’hui, même si j’ai une opinion assez arrêtée désormais. Malgré une certaine désillusion, j’ai quand même trouvé dans cette nouvelle approche un intérêt tout particulier que j’ai à coeur de vous dévoiler. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cet article.

1 – L’AIM : une déception

Je vais d’abord commencer par les aspects négatifs liés à l’utilisation de ce modèle. Il est difficile de généraliser lorsque deux séances d’hypnose, réalisées de la même manière avec les même techniques et les même scripts au mot près, peuvent donner des résultats totalement opposés sur deux personnes aux sensibilités à l’hypnose différentes. Néanmoins, je vais me permettre de prendre quelques raccourcis afin de partager avec vous mes conclusions.

Peu réceptif avant, pas plus réceptif après utilisation de l’AIM

Lorsque des volontaires peu réceptifs aux méthodes d’hypnose classiques (suggestions directes ou hypnose Ericksonienne) se présentent à moi, j’ai pris l’habitude de tenter un peu d’AIM dans l’unique but de tester l’efficacité du modèle. Autant le dire crûment, dans ce cas précis, l’AIM s’est toujours ou presque révélé complètement inutile. Aucune amélioration notable d’un point de vue sensibilité à l’hypnose.

J’ai quelques fois eu d’agréables surprises, mais en creusant un peu avec le feedback de la personne, le déclic n’était en aucun cas lié à mon changement de méthode mais plus à un laisser-aller progressif à force de persévérer.

La majorité des personnes peu réceptives ont un problème récurrent : leur passivité.

Le modèle AIM a malheureusement tendance à accentuer ce phénomène plus qu’autre chose. Forcément, lorsque l’on demande à la personne d’automatiser et rendre involontaire un phénomène hypnotique qui n’existe pas encore concrètement, l’effet ne peut pas fonctionner. Prenons un exemple pour illustrer : si on demande à une personne d’imaginer que le bras se lève, et d’oublier ensuite qu’elle est à l’origine de ce mouvement, il faut déjà qu’elle sente le bras se lever pour que la deuxième partie de la suggestion puisse fonctionner. Or, ces suggestions très directes (« le bras se lève ») ont tendance à augmenter la passivité des volontaires. Et si la personne n’a pas la volonté sincère d’imaginer et de se créer des métaphores symbolisant le bras qui se lève, il ne se passera rien. Pour la majorité des personnes (hormis les 10 ou 20% de personnes les plus réceptives aux suggestions qui sont des somnambulistes « naturels »), il est nécessaire dans un premier temps de vivre le phénomène hypnotique en ayant conscience d’en être à l’origine, avant de pouvoir le laisser passer plus complètement vers l’inconscient et ainsi revêtir son aspect somnambulique (automatique et involontaire).

L’AIM crée une attente disproportionnée, à l’image des suggestions directes, qui ne fonctionnent que sur des personnes très réceptives.

Quand on commence une séance d’hypnose directement par l’AIM

Kev Sheldrake préconise une utilisation directe des suggestions plutôt qu’une utilisation indirecte métaphorique en se basant sur des expériences scientifiques en apparence indiscutables. Pourtant, après des mois de pratiques, mes expériences ne vont pas du tout dans ce sens.

Quand on débute une séance d’hypnose par l’AIM, deux possibilités :

  • Le volontaire est très réceptif, tant mieux, le reste s’enchaînera rapidement.
  • Le volontaire n’est pas réceptif => on se retrouve rapidement coincé. Il n’y a pas mille manière de dire « le bras se lève ».

Sur un panel assez large (je me suis contrains à passer plusieurs après-midi entières à ne faire QUE de l’AIM), les résultats ont été plus que mitigés. Seules les personnes très réceptives ont su tirer leur épingle du jeu. Habituellement, j’arrive à faire augmenter la sensibilité d’une personne à mes suggestions tout au long de la séance. Une personne au départ peu réceptive peut finir dans un état somnambulique avec un peu de persévérance. Avec l’AIM, la possibilité d’adaptation est nulle.

Dans le cas des personnes peu réceptives, j’ai aussi tenté de reprendre ensuite une séance plus classique avec les métaphores habituelles. Et, n’ayant pas eu de résultats avec une première approche AIM, j’ai quasiment toujours obtenu de meilleurs résultats avec l’utilisation de métaphores. Lorsqu’une personne est passive, il faut l’emmener dans un monde qui lui parle et qu’elle a envie d’imaginer pleinement. Il me suffit quelques fois de nommer la référence au film de Pixar « là-haut » pour que tout d’un coup le bras se lève à une allure étonnante ! Ce film d’animation représente pour beaucoup de personnes la légèreté et la liberté. Toutes ces belles sensations associées à cette image magnifique des milliers de ballons remplis d’Helium vont permettre à la personne de devenir active du processus, voire même actrice. Et là, magie, le bras se lève.

Tirer des conclusions de mes simples expériences serait hâtif. Je m’y prends peut-être mal après tout. Mais si je n’y arrive pas, cela peut aussi vouloir dire que d’autres rencontreront les même difficultés. Or, nous recherchons avant tout la simplicité.

Ce qui est paradoxal, c’est que Kev Sheldrake le dit lui même : il faut jouer avec les émotions. Et quoi de plus fort que des ancrages pour faire remonter ces émotions ? La madeleine de Proust en est toujours le plus bel exemple. Je trouve dommage qu’ils s’appuient sur une expérience scientifique pour dénaturer un phénomène que l’on rencontre tous les jours par l’expérience : les métaphores fonctionnent mieux que les suggestions directes. Et chez une personne en apparence peu réceptive, il suffit quelques fois de cibler LA bonne métaphore pour que tout s’enchaîne très rapidement.

2 – L’AIM : un catalyseur vers le somnambulisme

Pour moi, utiliser l’AIM en début de séance relève du gâchis. Par contre, lorsque nous avons en face de nous des volontaires très réceptifs mais qui n’arrivent pas à passer de la dissociation au somnambulisme, l’AIM peut se révéler un atout majeur.

Rappel avec l’exemple de l’amnésie du prénom

Je souhaite revenir sur deux notions importantes. Un volontaire vient de recevoir la suggestion qu’il s’appelle désormais « Claude » alors que son vrai prénom est « Marc ».

Dissociation : « j’ai envie de dire que je m’appelle Claude, mais je sais que ce n’est pas mon vrai prénom. Pour autant, je suis incapable de retrouver le vrai. Je n’ai que Claude en tête. »

Somnambulisme : « Je m’appelle Claude. »

Passage de la dissociation au somnambulisme

La plupart du temps, je vous recommande d’utiliser la ruse pour arriver à vos fins. Mais aujourd’hui, je vais vous donner une corde en plus à votre arc. L’AIM. C’est en réalité une combinaison AIM plus amnésie. Parce que quelques fois, vivre une suggestion dans un état somnambulique revient simplement à oublier que vous êtes en train de vivre cette suggestion. S’il n’y a pas de suggestion, il ne reste que la réalité, aussi fausse soit-elle. Et c’est ce que propose l’AIM, lorsque Kev Sheldrake suggère à ses volontaires d’imaginer que tout se fasse automatiquement et involontairement.

Reprenons l’exemple de l’amnésie. Vivre une amnésie dans un état somnambulique, cela pourrait revenir à accepter la suggestion de l’amnésie de son vrai prénom, tout en ayant oublié également que l’hypnotiseur nous a donné cette suggestion. Deux amnésies coup sur coup, en quelque sorte. Le fait de disséquer un phénomène en plus petits phénomènes peut à la fois être réducteur, et d’une aide considérable. Lorsque j’ai pour la première fois décortiqué le pause-lecture en affirmant qu’il ne s’agissait finalement que d’une catalepsie et d’une amnésie au mot « lecture », beaucoup, même des hypnotiseurs confirmés, ont été très surpris. Ils pensaient sincèrement que la personne était « ailleurs » entre le mot pause et le mot lecture au point de ne rien entendre et ne rien voir. Après quelques tests, ils se sont finalement rendus compte de leur erreur.

Voici un exemple de suggestion qui peut être donnée pour faire passer une amnésie dans une intensité somnambulique grâce au mélange amnésie + AIM.

Quand je t’ai suggéré que tu allais désormais t’appeler Claude, tu as bien enregistré l’information étant donné que tu ne te souviens plus que de ce prénom. Cependant, il y a une partie de toi qui persiste et te rappelle que non, Claude n’est pas ton vrai prénom. Si tu souhaites vivre la suggestion pleinement pour la rendre encore plus réelle, il te suffit de ne plus penser à cette suggestion. Un peu comme si elle devenait automatique, involontaire. Si tu en arrivais à ne plus te souvenir de la suggestion que je t’ai donné, ou que mieux encore, tu ne t’en préoccupais juste plus, tu pourrais ainsi te contenter de répondre Claude sans que cela ne te paraisse bizarre, n’est-ce pas ? Ce serait un peu comme si c’était ton vrai prénom. Tu t’appellerais alors Claude, le plus naturellement du monde. N’est-ce pas ? 1, 2, 3, tu peux ouvrir les yeux.

Conclusion

Je trouve la théorie autour du modèle AIM plus qu’intéressante. J’ai essayé dans les deux premiers articles de conserver un regard objectif et de ne faire qu’exposer le modèle selon Kev Sheldrake. Dans cette dernière partie, je me suis permis d’exprimer mon avis, très subjectif. Finalement, je regrette que Kev Sheldrake s’appuie sur une succession d’expériences scientifiques (sorties de leur contexte pour la plupart) pour justifier un modèle qui dans la pratique ne s’avère pas du tout concluant sur des personnes peu ou pas réceptives avec les méthodes d’hypnose plus classiques.

Le modèle AIM fonctionne, mais ne représente pas le « méta-modèle » que l’on attendait tous pour nous permettre d’obtenir de meilleurs résultats chez l’ensemble de nos volontaires. J’ai presque envie de dire que c’est l’inverse malheureusement. Ce modèle cible un public déjà relativement sensible à l’hypnose et ne permet pas fondamentalement de faire « plus » contrairement à ce qu’annonçait le collectif Head Hacking.

Je vous ai laissé un peu de temps entre le 2e article et celui-ci pour que vous puissiez essayer de votre côté. Que pensez-vous de ce modèle ?

Jean-Emmanuel

Passionné d'hypnose depuis 2008, Jean-Emmanuel partage avec vous toutes ses expériences et son savoir faire afin de vous permettre d'apprendre l'hypnose dans les meilleures conditions possibles. Il est également auteur du livre "la voix de l'inconscient".

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10 réflexions au sujet de “L’AIM, retour d’expérience et conclusion (3e partie)”

  1. Article très intéressant. J’étais arrivé aux mêmes conclusions : l’AIM n’est pas un « super-modèle marchant même sur les volontaires peu réceptifs » tel qu’il a été présenté par le collectif Head Hacking.

    Déjà, je le trouve difficile à appliquer. En français, une traduction littérale donne des phrases complexes qui s’approchent plus de techniques de confusion qu’autre chose (imaginer ne pas avoir conscience d’être en train d’imaginer qu’une main est collée, par exemple).

    Les rares fois où j’ai pu le tester, j’ai obtenu des résultats très faibles sur des catalepsies, et je n’ai jamais osé tenter une amnésie avec.

    Peut-être qu’effectivement, il vaut mieux utiliser l’AIM pour le passage dissociation/somnambulisme. Je n’ai pas expérimenté la chose, mais c’est à essayer. Il est vrai qu’au final, l’AIM semble être « juste » une simple suggestion d’amnésie de la suggestion. J’étais arrivé sur la même analyse que toi sur ce point.

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  2. Je n’ai jamais testé l’AIM par non conviction de son efficacité. Surtout que j’utilise déjà des suggestions directes lorsque la personne est en état somnambulique. Je suis convaincu qu’une suggestion directe ne passera pas si facilement que ca chez une personne peu sensible. Pour moi l’hypnose c’est savoir trouver le dialogue qui va correspondre à la personne pas sortir des phrases pré-enregistrées et sorties tel un robot. J’ai vécu également des suggestions en AIM et ca ne change absolument rien a la manière dont je vis les suggestions. Et puis je trouve que cet AIM appuies finalement pas mal sur la dissociation plus que sur le somnambulisme. Dissocier la conscience et l’inconscient alors qu’on veut les faire fonctionner ensemble. Après c’est bien sur mon avis et je te remercie pour ces super articles 🙂

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  3. Je crois que tu résumes très bien la situation , et mes expériences et conclusions vis-à-vis de l’AIM sont sensiblement les mêmes que toi.
    Très bon article, bien qu’un petit blink cependant à propos du Freeze / Defreeze : « Lorsque j’ai pour la première fois décortiqué ». (IATH, Diane ou même Galileo lui-même)

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    • Brieuc -> j’entendais par là : lorsque j’en ai parlé pour la première fois sur Street Hypnose. Beaucoup pensaient à ce moment-là que je me trompais. Au final, aujourd’hui l’explication du pause-lecture est plus communément admise. Pas que grâce à moi, mais en tout cas au niveau de la communauté Street Hypnose j’y ai un peu contribué 😉

      De nombreux hypnotiseurs avaient juste mal interprété la suggestion qu’ils donnaient à leurs volontaires en se référant uniquement au résultat visible (quand on voit la personne les yeux ouverts complètement figés et immobiles, c’est flippant :D).

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      • Ah d’accord ! Ta phrase était ambigüe :p
        Bah après je vois mal comment des « hypnotiseurs confirmés » peuvent ignorer un blend de suggestions.
        D’autant plus que ça entend qu’ils ont pratiqué un certain nombre fois et ont sans doute eu au moins un cas comme :
        – catalepsie sans amnésie aux triggers
        – amnésie à « defreeze » alors que la personne continuait « de se mouvoir » (bon, là probabilité plus faible de le rencontrer car la boucle de croyance n’est pas engagé à priori pour cette sugg).

        Perso j’ai eu quelques cas de ce premier, et qu’un seul du dernier (renforcé avec sugg par évocation)

        Sur ce, vivement le prochain article de ce type 🙂 bise

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  4. Salut à tous !
    Personnellement, ça fait un mois que j’utilise l’A.I.M quasiment dans toutes mes séances et j’y trouve tout de même un avantage : avec un volontaire assez sensible, on obtient des catalepsies somnambuliques à froid en 10sec, ce qui est assez impressionnant pour lui, ce qui augmente donc sa suggestibilité. C’est vrai que, en dehors de ça, une métaphore est souvent plus efficace avec les personnes moins sensibles.
    Sinon, je pense que ce modèle est intéressant du point de vue théorique : il fait réfléchir au fonctionnement interne réel de l’hypnose et, personnellement, comprenant mieux comment ça fonctionne, il m’a fait progresser très rapidement. Donc pas parfait, mais pas inintéressant non plus !

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  5. Est-ce que le principe de l’AIM réside uniquement dans le fait que le volontaire oublie volontairement la suggestion qu’on lui a donné ?
    Ne pourrait-on pas appliquer l’AIM en utilisant des techniques pour lui faire oublier la suggestion sans qu’il n’est pas à faire de lui-même cet effort ? Parce que si l’on me dit oublie que ta main est collée, je ne vais pensé qu’à ça. En effet, vu comme ça, ça semmble être juste une perte de temps.

    Mais si on utilise la distraction, la confusion ou même une suggestion (direct ou indirect) pour faire oublier la suggestion première, ne pourrait-on pas obtenir les résultats escomptés ?

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    • Le but n’est pas « d’oublier » à la manière d’une amnésie, mais plutôt d’imaginer qu’un mouvement se fait en toute automaticité, sans aucun effort conscient.
      En anglais, le vocabulaire utilisé est le fameux « imagine that you’re not aware of », mais en français libre à nous d’innover.

      En tout cas, si tu arrives à obtenir une amnésie réelle, tu n’auras aucun soucis à développer la plupart des phénomènes hypnotiques, AIM ou pas :p

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      • En effet, si l’amnésie d’une suggestion passe, ça va sacrément faciliter la tâche (mais moins fun pour le volontaire).
        Donc l’idée est plus dans le « imagine que tu n’imagine pas….. »

        Seulement c’est l’histoire du  » ne pense pas à un chat noir  »

        Si on me dit  » imagine un éléphant rose  » puis  » maintenant imagine que tu n’imagine pas un éléphant rose « , à quoi je pense : un éléphant rose

        Ah oui du coup la suggestion première a marché sans que je me rende compte qu’elle soit volontaire…. mais c’est surpuissant en fait ! Je suis étonné du peu de résultat que tu as obtenus, mais en tout cas merci de la session dialectique involontaire lors de l’écriture d’un commentaire, en plus en utilisant l’AIM.
        Les mauvaises langues diront que tu as provoqué volontairement l’effet : p

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