L’effet Pygmalion, par Rosenthal & Jacobson

Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon élève, il le devint véritablement : pour que les gens méritent notre confiance, il faut commencer par la leur donner.

(Marcel Pagnol, Le temps des amours, 1988, p. 76).

Cet article se veut volontairement exagérateur et à la limite de la généralisation abusive. Néanmoins, si vous comprenez l’idée générale que je souhaite transmettre, vous en retirerez forcément un bénéfice indescriptible dans votre approche de l’hypnose.

Effet Rosenthal, effet Pygmalion, effet des attentes…

Tous ces termes pour désigner une seule et même idée. A l’origine, c’est dans l’enseignement que des expériences ont été menées, afin de déterminer l’impact des enseignants sur la réussite ou l’échec scolaire des élèves.

Rosenthal et Jacobson sont partis de l’hypothèse que la perception que l’on a d’autrui peut induire des attentes et une attitude plus ou moins positive envers ce dernier. Ces attentes se trouveraient confirmées par la suite non seulement au niveau des jugements mais aussi au niveau du comportement d’autrui. Ils ont donc mené de nombreuses expériences afin de mettre en évidence l’enjeu de ces attentes. Parmi ces expérimentations, la plus célèbre les a mené dans des classes de primaire pour faire passer aux élèves un « test d’épanouissement intellectuel ». Les instituteurs étaient informés que les résultats de ce test devraient leur permettre de prédire le développement intellectuel à venir des enfants. Les tests ont été corrigés et les instituteurs mis au courant des résultats. En fait, le test était bidon et les résultats n’étaient qu’un prétexte pour permettre de répartir aléatoirement les enfants en deux groupes et créer des attentes chez les instituteurs.

Un groupe d’enfants à très fort potentiel (sélectionnés aléatoirement), et un autre groupe contenant les 80% d’élèves restants.

Aussi fou que cela puisse paraître, quatre mois après, les enfants du groupe à fort potentiel obtenaient un Q.I. plus élevé que les autres enfants.

Non seulement les attentes positives des instituteurs vis-à-vis de certains élèves se traduisirent par de meilleures évaluations et par des notes plus élevées (valeurs subjectives laissées à l’appréciation de l’instituteur), mais les croyances des instituteurs dans la réussite des enfants à fort potentiel se concrétisèrent également chez ces derniers par une augmentation du Q.I ! (valeur « objective », ou au moins exhaustive) Troublant non ?

Cet effet ne se produit pas uniquement dans le cadre scolaire, mais à chaque fois que des attentes entrent en jeu.

L’effet des attentes et l’hypnose

Comme dans l’étude originelle de Rosenthal et Jacobson, vous allez susciter chez vos volontaires des idées non vérifiées à propos de leur suggestibilité (en les présentant comme des personnes très réceptives pour des raisons que seul vous êtes capable de juger), afin d’examiner comment ces attentes presque falsifiées influencent le comportement de vos volontaires et leurs performances pendant la séance d’hypnose. Pour cela, il faut d’abord réussir à vous convaincre vous-même que chaque personne est hypnotisable et potentiellement très réceptive. Personnellement, à force de me le répéter inlassablement, j’ai fini par m’en convaincre. A la manière d’un mantra. Et plus les réussites se sont enchaînées, plus j’ai réussi à m’en convaincre de façon durable.

N’en attendez pas TROP non plus !

De ma propre expérience, il serait inapproprié de considérer que nos attentes déterminent « fortement » la réussite ou l’échec de nos suggestions. Néanmoins, je reste persuadé que ces attentes peuvent avoir une influence significative sur la réceptivité de nos volontaires. Ne serait-ce que parce que notre communication non verbale sera plus adaptée si nous arrivons à nous persuader que la suggestion va fonctionner.

Stigmatiser, généraliser, quelques fois c’est bien

Quand on précise que la personne sera forcément suggestible, il faut lui donner une bonne raison. Et une appartenance à un domaine en particulier peut tout à fait faire l’affaire. Souvent je demande à la personne avant de commencer « juste par curiosité, tu fais quoi dans la vie ? ». Et en fonction de ce qu’elle me répond, je vais me convaincre que cela va l’aider dans son approche de l’hypnose, et ainsi argumenter en faveur d’un fort indice de réceptivité pour moi.

  • Ah, tu es dans le domaine artistique ! Tu as donc une bonne imagination !
  • Informaticien ? Tu vois l’état dans lequel tu es quand tu es en train de coder depuis 2 heures et que tu es tellement absorbé dans ton code que tu es totalement déconnecté du monde extérieur ? Ben ça tombe bien c’est ça l’hypnose !
  • Infirmière, quel joli métier ! Ce côté humain dans ton métier est indispensable pour que l’hypnose fonctionne. Le fait de goûter à l’état d’hypnose pourrait même te donner des idées ensuite pour tes propres patients !
  • Comptable ? Moi et les chiffres ça fait deux ! Mais au moins je suis sûr que tu as une bonne concentration, si t’arrives à ne pas te perdre dans tous ces chiffres. Tu marques des points ! L’hypnose au final c’est juste de la concentration !
  • Commercial. T’es déjà un hypnotiseur en fait ! Quand tu utilises des images ou des petites anecdotes pour donner envie au client d’acheter le téléviseur de la gamme au-dessus, c’est de l’hypnose ! Quand je suggérerai que ton bras se lève tout seul, tu verras je serais comme un commercial pour vendre à ton conscient le fait de laisser passer la suggestion vers ton inconscient. A toi de m’ouvrir ton porte-monnaie. Heuu. Ton inconscient !

C’est un moyen à la fois de mettre en confiance la personne, et aussi de se mettre soi-même dans le bon état d’esprit.

Attentes négatives et attentes positives

Dans une étude réalisée par Sutherland et Goldschmid, il a été démontré que les « prophéties auto-réalisatrices » négatives avaient un impact bien supérieur aux positives. Ce que cela veut dire, c’est que vos attentes ou vos paroles négatives peuvent réduire drastiquement la réceptivité de vos volontaires alors qu’inversement des attentes positives n’auront qu’un impact limité.

Il y a deux jours, j’ai surpris un autre hypnotiseur en train de dire à une future volontaire quelque chose comme  « Ah, ok, ben c’est un signe que tu n’es pas très réceptive ça ». Même si au final il avait raison, c’est une pensée qu’il aurait dû garder pour lui ! Il a en réalité suggéré à la personne qu’elle ne serait pas réceptive. Ce genre de suggestions peut avoir un impact négatif considérable pour la suite.

Exemple d’une attente négative

Je dois vous faire un aveu. J’ai une bête noire. Une pensée limitante. Le professionnel d’art martial. Quelle horreur que celui-là ! Le simple fait de lui parler provoque en moi le grand frisson ! Je me retrouve les yeux grands ouverts face à ma plus grande peur. L’homme pour qui le lâcher prise est son pire ennemi. L’homme pour qui garder le plein contrôle est indispensable au quotidien. Une abomination !

Mon comportement devient tellement inadapté et négatif que la séance a de fortes chances d’échouer, plus à cause de moi qu’à cause de mon volontaire. Je n’ai eu que des expériences négatives avec ces monstres, et il est aujourd’hui difficile pour moi de me vider l’esprit face ces surhommes. Heureusement, cela reste assez rare ! Au final, je suis certainement passé à côté de quelques uns très réceptifs, malgré moi.

Croire en soi est une chose. Croire en l’autre est au moins aussi important.

Là où je veux en venir

Même si vos attentes positives n’ont que peu d’impact, l’objectif reste avant tout de ne pas influencer négativement vos volontaires. Si vous donnez l’impression à un moment donné ou un autre que la personne n’est pas réceptive, quelles que soient les raisons, vous allez le provoquer !

Exemple : imaginons que les doigts aimantés mettent une éternité à se rapprocher. Si vous dites « Normalement ils doivent se rapprocher plus vite que ça », vous sous-entendez que la personne aurait pu être bien plus réceptive. Le risque est ainsi de provoquer une suggestibilité moindre pour les futurs exercices.

Voyez plutôt la chose ainsi : « Ok, tu peux arrêter, j’ai vu ce dont j’avais besoin. Tu as senti les petits mouvements automatiques n’est-ce pas ? Ces petits à-coups involontaires ? Ce sont des mouvements de ton inconscient ! En ayant vu ça, cela me suffit, je sais que tu es très réceptif. On peut passer au test suivant ! »

Pas besoin que les doigts se touchent, on enchaîne avec les mains aimantées !

Pourquoi ça marche !

Plusieurs conditions sont nécessaires, avant qu’une attente conduise à sa propre réalisation. Il faut tout d’abord que l’hypnotiseur ait des attentes relativement imprécises et stables à propos d’un volontaire. « Il est artiste donc il est réceptif ». Il est ensuite nécessaire que ces attentes influencent les attitudes et les comportements de l’hypnotiseur vis-à-vis de son volontaire. Enfin, il faut que ce dernier perçoive et réagisse aux conduites de l’hypnotiseur d’une manière qui confirme les attentes initiales. En d’autres termes : il est réceptif.

Ce n’est bien sûr pas une science exacte. Les volontaires peuvent empêcher ces attentes de s’auto-réaliser en leur résistant ou en agissant contre elles comme dans toute séance d’hypnose.

Un autre exemple. Aurélien et Marco prennent de plus en plus goût à l’hypnose sans induction, où l’on peut réaliser tous les phénomènes hypnotiques de façon totalement éveillé.

Je propose quelques idées de routines sans induction dans le livre la voix de l’inconscient.

Au départ, ils avaient beaucoup plus d’échecs que maintenant. Parce qu’ils étaient moins bons ? Non, simplement parce qu’ils pensaient que c’était forcément plus compliqué sans induction. Maintenant qu’ils se sont auto-persuadés que c’était aussi facile, et qu’il n’y avait aucune raison que cela ne fonctionne pas au moins aussi bien qu’avec une induction, ils ont des taux de réussites très convaincants ! Et les catalepsies et amnésies sans inductions sont devenues monnaie-courante à Toulouse !

La prophétie auto-réalisatrice prend ici tout son sens… A vous de jouer !

Jean-Emmanuel

Passionné d'hypnose depuis 2008, Jean-Emmanuel partage avec vous toutes ses expériences et son savoir faire afin de vous permettre d'apprendre l'hypnose dans les meilleures conditions possibles. Il est également auteur du livre "la voix de l'inconscient".

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14 réflexions au sujet de “L’effet Pygmalion, par Rosenthal & Jacobson”

  1. Sympa comme point de vue et finalement pas si abusif que ça 😉

    Je confirme que le fait de se dire qu’une personne est réceptive et d’avoir une totale confiance dans notre technique augmente considérablement notre taux de réussite. On en arrive même à un point où on ne remarque plus les « échecs » pour ne se rappeler que des réussites.

    Et concernant l’hypnose sans induction, je la trouve même parfois plus simple qu’avec induction maintenant, car il est beaucoup plus facile d’avoir un retour du volontaire (par l’observation du regard entre autre), ainsi que d’appuyer les suggestions par le langage non verbale (l’assurance qui passe par la posture et le regard entre autre).

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  2. « L’homme pour qui le lâcher prise est son pire ennemi. » ???

    « l’hypnose sans induction »
    Tu parles d’hypnose à la James Tripp ?

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    • Les pratiquants d’arts martiaux ne sont en général pas très fan du lâcher prise. Ils aiment être « en contrôle ».

      L’hypnose sans induction regroupe les techniques « à la James Tripp » comme tu dis 😉

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      • Au contraire, il me semble que le lâcher prise est primordial dans les arts martiaux !

        Pour ce qui est d’hypnotiser sans induction, bin… justement si, il y a induction ! Induction les yeux ouverts certes, mais induction quand même.

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        • J’aurais plutôt tendance à dire qu’il peut y avoir transe sans induction, les yeux ouverts. Une transe basée uniquement sur la dissociation, et non sur la relaxation et l’intériorisation.

          Après, si tu pars du principe que pour avoir transe il y a forcément induction avant, quelle que soit sa forme, alors oui tu as raison 🙂

          Pour les arts martiaux, c’est la notion de « rester en contrôle » qui prédomine j’ai l’impression. Même dans le lâcher prise :p
          Je ne tiens pas à dire par là que l’on perd le contrôle sous hypnose, mais il faut malgré tout suffisamment de lâcher prise pour accepter que les suggestions fonctionnent.
          Et comme je l’ai précisé dans l’article, c’est de toute façon une pensée limitante, éloignée de la réalité.

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  3. Très bel article JE et sur un point essentiel ! J’allais écrire sur ce sujet et je crois que je vais simplement relayer le tiens ! En plus, c’est valable dans tous les domaines de la vie, et pas seulement dans l’hypnose

    Merci 🙂

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    • C’est justement parce que je suis persuadé que c’est valable dans tous les domaines de la vie que je me suis permis cette « généralisation abusive », en partant de l’expérience de Rosenthal pour l’élargir à l’hypnose (et au reste).

      Merci pour le compliment en tout cas… Mais je pense que si tu écrivais un tel article il serait certainement beaucoup plus complet et précis 🙂

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  4. Très bon article, cependant j’émettrais une réserve sur le domaine des arts martiaux justement. Il faut pouvoir distinguer les arts martiaux dits « externes » comme le karaté par exemple, où le contrôle de soi est justement nécessaire, des arts martiaux « internes », le plus connu étant le Taï Chi, où justement le lâcher prise est nécessaire pour ressentir la circulation du Qi.

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    • Comme je l’ai précisé, il s’agit d’une pensée limitante. Elle n’est de fait pas fondée ! 😉

      Mais savoir qu’elle n’est pas fondée ne suffit pas à la supprimer. Tous ceux qui ont des phobies comprendront de quoi je parle…

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  5. Je confirme c’est à la James Tripp… c’est en voyant ses vidéos que je me suis lancé… avec un certain succès. Mais je garde quand même l’induction parce que la relaxation c’est bon pour nos volontaires !

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