La vulgarisation et le cheminement

À une personne qui me demandait sur ma chaîne Youtube si ma pratique ne risquait pas de « refaire passer l’hypnose pour une pratique de cirque, peu sérieuse et ayant pour objectif de distraire et (pourquoi pas) manipuler » je répondis que l’hypnose faisait bien tout cela et que je ne voyais pas au nom de quoi nous laisserions cet outil profondément humain aux mains des propagandistes et des seuls médecins. L’autre sembla se ranger à mon avis et trouva même tout seul une solution au problème éthique que cela semblait lui poser puisqu’il déclara que « comme tout outil, ce qui compte c’est ce que l’on en fait ». Soit, allons plus loin vers cette idée…

Que fait-on exactement en hypnose de rue ?

Du phénomène. La chose est si vrai que dans les formations, sur le forum ou encore dans le livre de Jean-Emmanuel il n’est pratiquement question que de phénomènes hypnotiques. Quel contraste lorsque nous lisons Gaston Brosseau ou Ernest Rossi, quelques uns des grands noms de l’hypnose de notre temps, qui se laissent aller – ultime fantaisie – à une lévitation de bras de temps à autre. Pour eux l’hypnose est davantage une question de processus biologique et il se questionnent bien plus sur l’épigénétique, à savoir comment nos comportements influencent l’expression de nos gènes, comment chaque cellule distincte utilise le même code génétique pour produire des résultats différents, plutôt que sur la réalité de tel ou tel phénomène pour la personne qui le vit.

Lorsque Pierre Janet s’est mis en tête d’extraire la psychologie de la gangue obscure de la philosophie, il avait bien compris que seuls des faits observables et mesurable pouvaient corroborer ou invalider une théorie. Les outils d’observation de l’époque étant à peu près les même que ceux dont nous disposons actuellement lorsque nous faisons de l’hypnose dans la rue, il ne me semble pas exclu qu’il aurait rit doucement en entendant les revendications scientifiques de certains street-hypnotiseurs. De plus, la plupart des patients qu’il traitait étant doté de plusieurs personnalités bien distinctes, accorder foi aux dires de l’un ou de l’autre quant aux sensations qu’il serait susceptible d’éprouver aurait été une démarche bien trop hasardeuse.

Les hypnotiseurs de spectacle de l’ancien temps l’avaient bien compris. En saignant leurs sujets sur scène ou en leur brisant des briques à la masse sur le corps ils cherchaient à montrer au public que l’individu hypnotisé pouvait plus que l’individu non hypnotisé : plus grande résistance physique, capacité de contrôler la circulation sanguine, possibilité de créer ex nihilo des brûlures sur le corps, etc.

Hypnotiser aujourd’hui dans la rue tel que nous le faisons relève bien davantage d’un acte de foi que d’une démarche scientifique. Rien ne ressemble plus à un volontaire ayant oublié son prénom qu’un volontaire feignant d’avoir oublié son prénom. Foi en la bonne volonté de notre hypnotisé, foi dans les techniques éprouvées par d’autres avant nous ou encore foi dans notre propre capacité à communiquer avec un inconscient dont seule la foi peut nous donner l’intime conviction qu’il existe.

J’étais un temps las de voir que tous les débats sur le forum pouvaient se résumer, quel qu’en aient été les préliminaires, à deux questions sémantiques : qu’est-ce que l’inconscient, qu’est-ce que l’hypnose ? De ces questions découlent toutes les autres : est-il possible de faire ceci ou cela, mon volontaire était-il bien hypnotisé à ce moment-là, ça ne fonctionne pas, que se passe-t-il, etc. ?

Écoutant les diverses théories des diverses écoles en présence, vous pourriez entendre des choses telles que « c’est le rapport qui est hypnotique » ; « l’hypnose c’est de la dissociation pure » ; « tout est hypnose » ; « l’hypnose c’est de la communication » ou encore « l’hypnose est un état modifié de conscience« . Bien sûr, aucune de ces théories, en l’espèce, ne vous serait d’aucune aide pour « faire » effectivement de l’hypnose.

Les limites de la vulgarisation

Lorsque j’avais quinze ans j’eu la chance d’effectuer un échange scolaire de six mois avec l’Allemagne. À mon arrivée à l’aéroport de Kiel, ma famille d’accueil se moqua gentiment de moi en me demandant si j’étais marié. C’est que dans ma lettre de présentation j’avais parlé du fait que je vivais avec ma mère et mon beau-père. Or, en allemand, il existe deux mots pour désigner le beau-père : stiefvater, qui désigne le conjoint de la mère et schwiegervater qui désigne le père du conjoint. Cette confusion n’était pas bien grave il est vrai, songeons à un autre égarement linguistique plus préjudiciable dans le cas où vous auriez une âme un peu poétesse : l’amour.

Dans le « Paradoxe amoureux« , Bruckner écrit ceci : « Il est des Je t’aime minute émis sous le coup de l’émotion et dont la validité n’excède pas le spasme du plaisir, des Je t’aime anonyme qui ne s’adressent à personne en particulier, des Je t’aime agressifs lancés comme un paquet de linge sale, des Je t’aime placebo qui font du bien à celui qui les entend et pas de mal à celui qui les profère, des Je t’aime suppliants qui sont des demandes de prise en charge intégrale, des Je t’aime narcissique qui disent seulement : je m’adore à travers vous, tels ceux du chanteur à la foule« .

Rappelons-nous maintenant de la multitude de mots qui existent dans la langue grecque pour désigner l’amour : Porneia, l’amour dévorant. Eros, le désir des sens. Philia, l’amour amical. Storgê, l’amour familial, l’amour tendre. Agapê, l’amour divin, inconditionnel. Gageons que si notre langue incluait toutes ces distinctions, le plaisir onanique de la pensée en mouvement n’aurait pas accouché d’un essai du genre de celui de ce cher Pascal.

Comprendre cela c’est commencer à entrevoir les limites de la vulgarisation.

L’un des points défendu ici est que sous le vocable « hypnose » se cache en vérité une somme de pratiques, d’états et d’idées disparates que seule l’unicité du terme les désignant, rattache assez maladroitement ensemble.

« Vulgariser » a deux définitions principales : celle de mettre à portée du grand public des connaissances, des idées. Et celle de faire perdre à quelque chose son caractère distingué. De fait, la bonne vulgarisation ne doit pas rendre vulgaire la chose vulgarisée. Dans un domaine aussi subtil et abstrait que la mécanique humaine, l’écueil ne serait-il pas de transmettre un savoir-faire sans transmettre le savoir sur lequel s’appuie la pratique ? Pire : dans une discipline en constante évolution, aux bases si changeantes suivant les époques, donner des certitudes plutôt que des perspectives d’exploration ne pourrait-il pas être contre-productif ?

Rappelons que l’hypnose a été oublié de nombreuses fois au cours de son histoire après avoir été un objet d’attention des plus important. Chaque fois les gens devaient avoir la sensation d’avoir fait le tour du sujet. En s’enfermant dans des certitudes, c’est leur objet d’étude qu’ils enterraient.

Si l’on peut trouver des approches pour lesquelles tout est hypnose et d’autres approches où rien n’est hypnose, des approches tenant compte de l’inconscient et d’autres l’oblitérant totalement, il est cependant une constante : le mystère. L’hypnose questionne. À mon sens, envisager l’hypnose comme une réponse est un leurre complet. Le propre de l’hypnose, de ses diverses pratiques est de questionner. Questionner la vie, son sens, la réalité, ses perspectives, l’identité ou encore la conscience.

Pour moi, la beauté de l’hypnose se trouve dans sa liberté : bornée aux fins de soigner ou d’amuser le public, cette pratique est un passe-temps des plus utile ou agréable, c’est selon. Mais c’est lorsqu’elle est détachée de la nécessité de l’utilité qu’elle prend tout son sens. Lorsqu’elle cesse d’être un outil, que les formes encrées de ses lettres divaguent dans l’abstraction des possibles, là réside le souffle sacré des fondateurs.

Dans les temps anciens, les pèlerins guettaient sur les murs des villes et dans les monuments la forme d’une coquille St Jacques. Là, savaient-ils, ils seraient accueillis avec bienveillance. Ils pourraient, l’espace d’une nuit, poser leur sac et leur bâton, faire des agapes en bonne compagnie et poursuivre leur route ensuite. Qu’on ne s’y trompe pas : malgré leurs bottes et leur canne, leur cheminement était avant tout intérieur. En quête de ces vérités qu’aucun livre ne peut délivrer car il n’existe aucun mot pour les décrire, ces vérités qui nécessitent d’être expérimentées pour être comprises.

En écrivant cela…

Je pense à toutes les formations que j’ai eu le plaisir d’animer depuis maintenant six ans. Malgré la diversité des groupes rencontrés, une constante demeure. Quoi que je puisse expliquer, quels que soient les mots que j’emplois et qu’importe la masse de connaissances que les personnes qui viennent ont pu amasser : il y a un avant et un après leur première hypnose « en vrai » ; sur des inconnus. Comme une sorte de petite lumière qui scintille au fond de l’œil et qui me montre qu’ils ont compris ce qu’eux seuls pouvaient comprendre. À ceux là et aux prochains je dis : entre, ami, tu es ici chez toi !

Raphaël Aguilo

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