Pourquoi l’approfondissement n’a rien à voir avec ce que vous pensiez

Approfondir c’est quoi ?

La faute à toutes les vidéos sur Internet, beaucoup pensent qu’approfondir la transe revient à augmenter la relaxation et l’état de bien être associé. Cela peut marcher, la plupart du temps, et fonctionnera même très bien avec les personnes les plus réceptives. Mais si vous n’allez pas plus loin, si vous ne cherchez pas à dépasser cette limite, vous ne progresserez pas. Et par progresser, j’entends par là : améliorer votre capacité d’adaptation pour faire d’un volontaire peu réceptif le meilleur des volontaires. C’est ce qui fait la différence entre un hypnotiseur de rue débutant et un autre plus expérimenté.

Tout le monde peut hypnotiser un somnambuliste. Même si vous formulez mal vos suggestions, il se fera un plaisir de les interpréter pour vous et de les faire fonctionner malgré tout. C’est la magie d’une personne très réceptive. Elle s’adapte, même si vous ne le faites pas. Elle fait le travail à votre place. Vous pouvez lui suggérer que le bras se lève de la façon la plus maladroite qui soit, elle se fera son propre film derrière pour donner vie à votre suggestion. Une personne peu réceptive n’aura pas cette autonomie. Il faut que alors que vous trouviez les bons mots pour que l’effet apparaisse. Et trouver les bons mots, croyez-moi, cela ne s’apprend pas en un jour. Il ne s’agit pas de trouver un script. Ni mille. Mais de trouver LA méthode qui fonctionnera pour CE volontaire. Il faut également apprendre à jouer avec les émotions (le rire notamment, l’élément capital de toute séance d’hypnose) et les croyances de la personne. Il faut saisir rapidement comment fonctionne la personne, comment elle perçoit le monde, comment elle réfléchit. Il faut savoir recadrer lorsque c’est nécessaire. Convaincre, aussi. Et chaque volontaire vous proposera des résistances et des blocages qui lui sont propres. Et avec l’expérience, on s’adapte. On apprend à repérer facilement les résistances et à les contourner.

Afin de vous aider à y voir un peu plus clair, je vous livre aujourd’hui un exemple d’approfondissement de l’amnésie que j’ai utilisé ce week-end lors de notre sortie hebdomadaire dans les rues de Toulouse.

Justin, ou l’homme qui s’appelait Marc

Justin est un hypnotiseur de rue Toulousain qui souhaitait depuis quelques temps être hypnotisé, mais il s’est confronté à un mur lorsqu’il s’est rendu compte qu’il avait du mal à lâcher prise pour les phénomènes hypnotiques de type challenge. Partir en transe, pas de soucis pour lui. Mais tout juste arrivait-il à vivre une légère catalepsie. Il m’a donc demandé de l’hypnotiser pour l’aider à lâcher prise davantage. Jouissant d’une grosse crédibilité en tant qu’hypnotiseur, j’y suis allé la première fois de façon très directe et très rapide. J’ai joué sur la confusion et la saturation des sens en lui proposant une multitude d’exercices d’imagination à une allure effrénée. Dès la première séance, nous avons obtenu de très bons résultats.

C’était il y a deux semaines. Il est revenu me voir samedi en me demandant de l’hypnotiser une nouvelle fois parce que, selon lui : « l’amnésie n’était pas vraiment là. Certes, tu m’avais remplacé mon prénom par un autre, mais au final, il y avait quand même un prénom, il n’avait pas complètement disparu. J’ai comme une sensation d’inachevé ».

Première étape : la distraction

Revenons un peu en arrière. Lors de notre première séance, la suggestion d’amnésie n’avait pas prise complètement. Il ne pouvait pas prononcer son prénom, mais il voyait les lettres dans sa tête. Cette première phase, légère, est capitale. Elle est le socle sur lequel nous allons construire la vraie amnésie derrière.

Deuxième étape : passage vers la dissociation

L’objectif est donc de faire disparaître le prénom. Dans la phase dissociative, le prénom disparaît complètement de l’esprit. Cependant, il reste une petite voix en arrière plan qui persiste et rappelle au volontaire que ce n’est pas normal, ni logique, d’avoir oublié son prénom. C’est un rappel à la réalité en quelque sorte.

Le meilleur moyen que j’ai trouvé pour faire disparaître ces fameuses lettres, c’est tout simplement de les remplacer par d’autres !

Tu me dis que tu n’arrives pas à prononcer ton prénom, mais que pourtant tu ne l’as pas vraiment oublié puisque tu vois les lettres dans ton esprit, c’est bien ça ?

Ok. Que se passerait-il si on remplaçait ces lettres par d’autres lettres ? Par exemple, imagine que les lettres de ton prénom passent petit à petit en second plan et deviennent toutes petites. A l’inverse, imagine maintenant les lettres de mon surnom – Manu – apparaître en premier plan. Imagine ces nouvelles lettres devenir très lumineuses et énorme. Elles peuvent clignoter, être en 3D et prendre tout l’espace laissé vacant dans ton esprit ! Elles peuvent devenir tellement énormes qu’aucune autre information ne peut plus se frayer un chemin et passer devant. Quand je te demanderai comment tu t’appelles, tu ne verras plus que « Manu, Manu, Manu, Manu, Manu » et à chaque fois de plus en plus gros.

Cela paraît simple. Trop simple peut-être ? Et pourtant, cette routine fonctionne merveilleusement bien.

Quelques fois cependant, le volontaire peut avoir l’impression de continuer de voir, en tout petit au fond, les lettres de son vrai prénom. Il ne tient qu’à vous de jouer avec son imagination pour les faire disparaître complètement. Soyez originaux ! J’avais utilisé une fois l’image d’un tsunami qui venait emporter les lettres jusqu’à les faire complètement disparaître. Le résultat était surprenant, alors que toutes les autres métaphores avaient échoué. Pourquoi ? On s’en fout finalement. L’image du tsunami dégageait une puissance dans l’esprit de la personne qui a suffit à rendre l’effet plus réel.

Toujours est-il que Justin, suite à cette petite ruse, avait oublié son vrai prénom. Mais il était persuadé de ne pas s’appeler Manu. Ni Matthieu, lorsque l’on a changé une nouvelle fois de prénom. J’en étais resté là pour la première séance. D’où son interrogation.

Troisième étape : passage vers le somnambulisme

L’objectif dans cette étape de l’approfondissement est de rendre la suggestion réelle. Que la personne suive la suggestion  en lâchant suffisamment prise pour ne même plus en avoir conscience. Il faut qu’elle ait vraiment l’impression de s’appeler par un autre prénom que le sien. Et pour cela, pas de secret : il faut ruser. J’ai déjà donné par le passé un bon exemple de ruse pour le pause-lecture.

Je suis dans un premier temps reparti de son constat. Il n’avait pas oublié son prénom, étant donné que nous l’avions juste remplacé par un autre. Il souhaitait oublier définitivement qu’il avait un prénom, quel qu’il soit. Facile : je lui ai suggéré de remplacer les lettres par du vide, ou une notion qui s’y apparente. J’ai en effet utilisé la métaphore des étoiles et de l’espace. Et à chaque fois que je lui demandais comment il s’appelait, il voyait du vide et des jolies étoiles apparaître dans son esprit. Son prénom avait donc pour lui complètement disparu. Mais dans les faits, nous l’avions juste remplacé par autre chose. Une ruse de plus.

Ensuite, je lui ai redonné un autre prénom, Marc, avec comme objectif de le convaincre que c’était son vrai prénom. Vous allez voir que l’on peut pousser le vice très très loin quand on est joueur. L’important dans l’approfondissement d’un phénomène hypnotique, c’est le feedback de la personne. Justin m’a décrit la chose de cette façon : « en fait, c’est comme si je voyais ma carte d’identité, avec Marc écrit sur du blanco. Comme si c’était une surcouche qui cachait le vrai prénom en dessous. » J’ai donc joué avec cette surcouche jusqu’à la faire disparaître. Mais le résultat n’a pas été probant, il restait toujours, même faible, un rappel à la réalité. Il savait au fond de lui que Marc n’était pas son vrai prénom, même si en surface il était presque convaincu que c’était son prénom.

Après une série de suggestions ayant pour but d’augmenter son état de confusion par rapport à son nouveau prénom Marc, j’ai « rompu le pattern » en changeant subitement de rythme pour lui faire un faux réveil. J’ai pris soin également de laisser une suggestion très indirecte pour qu’il continue de s’appeler Marc même après le réveil.

Bon écoute, visiblement le passage vers l’amnésie somnambulique ne fonctionne pas. Tant pis, je préfère qu’on arrête là pour aujourd’hui. Désolé, j’pensais vraiment qu’on allait y arriver. Une autre fois peut-être. Je vais compter jusqu’à 5, et à 5 tu pourras ouvrir les yeux et revenir dans ton état normal, parfaitement réveillé et en pleine forme. Et bien sûr, ton prénom Marc sera revenu. L’autre, le faux, peut juste s’en aller. Laisse le partir, il n’a plus besoin d’être là.

A son réveil,  demeurait au fond de lui un « paradoxe ». Une sensation inconfortable. Il était persuadé que Marc était son vrai prénom, et pourtant au fond il se sentait mal à l’aise vis à vis de ça. Un petit quelque chose d’indescriptible lui rappelait que ce n’était pas son vrai prénom. Il ne me restait plus qu’à enfoncer le couteau :

Wow. On a dû tellement te retourner le cerveau avec toutes ces suggestions d’amnésie que même le vrai prénom a du mal à revenir. Ne t’inquiète pas, cela prendra peut-être quelques minutes à revenir, mais cela va se faire naturellement. Bon attends, dans le doute je vais te faire un réveil un peu plus énergique pour être sûr que tu es bien réveillé.

Ce que j’ai fait. Et à son « réveil », il s’appelait vraiment Marc, et était persuadé de s’appeler Marc, en plus de péter la forme. Il a parié un coup à boire qu’il s’appelait Marc. Au moins, je n’ai pas perdu ma journée, j’ai gagné le droit de me faire inviter !

Jean-Emmanuel

Passionné d'hypnose depuis 2008, Jean-Emmanuel partage avec vous toutes ses expériences et son savoir faire afin de vous permettre d'apprendre l'hypnose dans les meilleures conditions possibles. Il est également auteur du livre "la voix de l'inconscient".

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15 réflexions au sujet de “Pourquoi l’approfondissement n’a rien à voir avec ce que vous pensiez”

  1. Tout simplement génial, comme d’habitude 🙂 je prends toujour rendez-vous pour une séance à mon prochain passage à Toulouse 😉

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  2. Bonjour Emmanuel,

    Tu t’en es très bien tiré, et ta façon de collaborer avec le sujet et de prendre en compte ce qui se passe en lui pour construire son expérience est très juste.
    Le prénom étant lié à l’identité, ce petit jeu peut rencontrer une résistance. Souvent, ce qui peut accélérer la collaboration, c’est bien préciser à la personne, une fois en hypnose, que ça n’est qu’un jeu, qui prendra totalement fin pour que tout revienne à la normale, et que par conséquent, il peut le jouer « complètement ». Ce qui aide, c’est aussi de motiver l’exercice en lui expliquant ce que ce simple petit jeu peut apporter comme apprentissages pour l’avenir, blablabla…

    En fait, il a revêtu totalement l’identité de « Marc » quand tu l’as réveilléet cela n’a rien de surprenant. Si tu veux favoriser la survenue d’un somnambulisme par une « transpersonnalisation », tu créés une identité seconde, et tu réveilles « cette personne là ».
    En gros : tu as Justin réveillé (identité certaine), puis Justin en transe (identité instable et plastique), puis Marc en transe (identité instable et plastique), puis Marc réveillé (identité relativement stable même si pas forcément aussi vive que Justin).

    Essayes directement des suggestions comme « tu te réveilleras en état Marc » plutôt que en « tu t’appeles marc ». Voire « Marc, si tu m’entends, hoche la tête ? Ok, maintenant réveille-toi en endormant Justin ». Le problème, c’est que du coup, c’est pas seulement le prénom mais un somnambulisme et ça peut créer une amnésie.

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    • Par rapport à ton premier paragraphe Antoine, il faut savoir que Justin étant hypnotiseur lui-même, il savait déjà tout ça 😉

      Quand au reste de ton message, je te remercie et j’essaierai de reformuler comme tu l’as proposé ! Je pense qu’il y a en effet quelque chose de très intéressant à retirer de cette approche.

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      • je voulais dire « tu te réveilleras en étant Marc ».
        C’est juste des idées, mais j’aurais pas la prétention de te donner des conseils. Ce que tu fais est très intéressant et ta progression fulgurante impose le respect.
        Même si le type, étant hypnotiseur connaît le fonctionnement, en transe, ça peut avoir une valeur de formuler certaines formulations rassurantes. Le but n’est pas tant d’informer ni de convaincre, mais plutôt d’activer une impression de « pouvoir y aller complètement ». Après, ça changerait peut-être rien du tout. A voir.
        En tout cas, j’espère qu’on aura l’occasion de se croiser un de ces quatre.

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        • J’ai en effet utilisé des suggestions ayant pour objectif de le rassurer et le pousser au lâcher prise. Mais elles étaient différentes de celles que l’on pourrait utiliser avec des inconnus qui peuvent avoir des peurs ou des résistances vis à vis de l’hypnose.

          Lui, il adore partir en transe ! Il avait juste – à mon avis – mal conceptualisé ce qu’était finalement une amnésie du prénom. Il visait la ligne d’arrivée, l’effet attendu, sans comprendre réellement le cheminement à emprunter. Et au final, on a un vainqueur, et il s’appelle Marc ! 😀

          Et merci pour les compliments, ça me touche d’autant plus venant de toi !

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  3. Ouah ! Sympa, effectivement il faut ruser, il y a toujours un moyen d’arriver au résultat que l’on veut atteindre chez le cobaye en suivant sa manière de fonctionner. Bravo !!

    Pour le vrai réveil, cela n’a pas été trop difficile de le faire revenir ? Question bête peut être, mais aurait-il été possible que ce remplacement de prénom dure dans le temps, et si non combien de temps cela aurait-il pris avant que Marc réalise qu’il s’appelle Justin ? Des évidences, comme sa carte d’identité aurait suffi ?

    Florian.

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    • Quand il s’appelait Marc, il était déjà vraiment « réveillé ». Sauf que j’ai triché en laissant une suggestion post-hypnotique.

      Mais au final, ce ne sont que des termes qui veulent rien dire. Techniquement, le volontaire ne sort pas d’hypnose suite au réveil. C’est juste qu’il est accompagné par plein de suggestions positives qui le font se sentir merveilleusement bien, mieux encore qu’à l’état ordinaire.

      Ce changement de prénom aurait pu durer quelques minutes, voire plus si on l’avait entretenu pour s’amuser. Mais si une situation exigeait qu’il donne son vrai prénom, il l’aurait retrouvé immédiatement. En gros, tant qu’il est prêt à jouer le jeu, ça peut durer un p’tit moment :p

      Et non, sa carte d’identité n’a pas suffit, bien au contraire. Cela lui a juste mis le doute. Sa phrase a été « j’fais confiance à 50% à ma carte d’identité, mais il reste 50% pour lesquels je suis persuadé quand même de m’appeler Marc malgré la carte d’identité ».

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  4. Intéressant même si je trouve que l’approfondissement est trop forte le fait d’approfondir avec des suggestions post hypnotique faire que le sujet ne fait plus la différence entre l’etat d’hypnose et la réalité c’est une confusion qui peut rester longtemps mais bon si tu es sur que ça n’a eu aucune incidence tant mieux. Breff ton article porte sur l’approndissement mais c bien sur l’approfondissement de trans? Pck il me semble que tu n’approfondis que la suggestion d’amnesie la c quoi l’approndissement pour toi alors? Quant est-il des 3 étapes que tu as decris?

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      • pour moi une transe est un état ou le sujet focalise son attention sur la voix de l’hypnotiseur et sur ses sensations. il est dans un état de bien-être qui laisse la conscience se dissiper et la vigilance tomber. Si bien qu’il ne reste que l’inconscient.

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